Texte de Denise Thibault
Les travaux de construction du barrage Bersimis 2 achevaient à Labrieville.
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Hydro-Québec vendait les maisons à ceux qui étaient prêts à les déménager. Nous décidions d’en choisir une, l’achetions et la faisions déménager à Forestville, sur la rue Verreault. Nous étions à trois voisins de ma mère.
Jacques devait se retrouver sur un nouveau chantier à Manic 5. Les routes n’étaient pas prêtes pour le voyagement, donc au début, on ne se voyait qu’aux fins de semaine et, dans ce temps- là, les semaines finissaient le samedi soir.
En mai 1961, Yvan naissait et nous avions la fille et le garçon. Cette naissance nous comblait et Yvan, tout comme Line, était un bon bébé en bonne santé. Lui aussi avait les mêmes couleurs de cheveux. Il ressemblait à son père. Bon bébé, il ne pleurait jamais et sa petite sœur, qui marchait, aimait se tenir autour de lui…
Nous avions maintenant deux bébés, Line un an et le petit naissant, mais on se débrouillait. J’étais à la maison avec eux, car Jacques était toujours à Manic 5. Il était logé dans des camps près du lieu de son travail où on commençait la construction du barrage. Il prenait ses repas à la cafétéria.
On prévoyait construire à 5 milles plus haut, un site de parc de roulottes pouvant accueillir les familles des travailleurs. Ce site devait comprendre une école et un local pour les offices religieux, une piscine et divers services pour rendre la vie plus facile aux travailleurs et leurs familles. On attendait ce moment avec grand hâte, car vivre éloignés et avoir à voyager n’était pas agréable pour un couple élevant des enfants. Une vie de famille nous manquait énormément…
Nous avons alors vendu la maison de Forestville puis avons acheté une roulotte pour déménager au Lac Louise vers le temps de Pâques en 1963.
C’était l’année que je fus enceinte de Gino qui naissait en octobre à la clinique médicale du chantier. Nous étions situés sur la 2e rue en face de l’école, roulotte 245. Nous étions bien heureux, car Jacques pouvait venir dîner et enfin on commençait une vie de famille normale… papa près de sa famille…
Hydro prévoyait des loisirs et des sports variés : skis avec monte-pente, hockey, curling, balle-molle pour ses résidents. Pour nous les femmes, des cours de cuisine, de couture, de peinture et des sports comme la balle-molle, quilles, curling. Il y avait aussi un camp d’été pour les enfants en âge d’y participer avec un cours de natation. Nous étions dans une belle nature pouvant profiter abondamment de la pêche qui était très fructueuse…
Un jour, Jacques nous a construit un beau chalet en bois rond en face d’un lac. Il avait creusé un puits pour nous fournir en eau potable. Nous l’avions équipé et nous y allions la fin de semaine…
Une anecdote au sujet du puits. Il avait creusé environ 6 à 8 pieds de profondeur, avait descendu une échelle dans le fond pour y remonter… Il vit en bas un mulot qui bougeait dans le puits, il remonta et remplit son puits puis recommença à creuser plus loin…. Il était tellement dédaigneux.
À six ans, Line commençait sa première année à l’école en face de chez moi. Elle me voyait étendre mon linge sur la corde durant sa récréation et elle m’envoyait un beau salut de la main. Les enfants étaient en costume scolaire, blouse blanche et jupe grise pour les filles et pantalon gris et chemise blanche pour les petits garçons. Elle réussissait bien en classe et, l’année suivante. Yvan suivait ses traces… Quand, il y avait des différends entre les autres enfants, Line protégeait Yvan, se postait devant eux et leur disait : « Allez vous attaquer aux plus grands, laissez mon frère tranquille… » Line a toujours été très protectrice envers ses deux frères…
Gino vieillissait et suivait Line et Yvan. Un jour Gino encore petit, environ deux ou trois ans, approche le vélo du perron, de la 2e marche, il embarque sur le vélo de 20 pouces d’Yvan et il se blesse à la jambe, une déchirure. Je le rentre dans la roulotte et les larmes me coulaient de le voir ainsi… Il me dit : « Ne pleure pas maman, ça ne me fait pas mal… » Nous sommes allés à la clinique et on lui fit des points de suture…
Un jour, je faisais du grand ménage. Avant de laver mes murs, j’ai enlevé mes cadres et le crucifix sur le mur. Gino très jeune, détache le Jésus de la croix et je lui demande pourquoi il a fait cela, il me dit : « Jésus était pris et moi je l’ai dépris » (ses mots d’enfant). Quand j’ai raconté cela à Maman, elle me dit : « Pauvre enfant ça devait faire bien longtemps qu’il était dérangé de voir Jésus attaché sur la croix… »
Le barrage se construisait et nous avions des parents et amis qui venaient nous visiter…
Durant l’Expo universelle en 1967 de Montréal, Hydro-Québec présentait en direct les travaux du barrage.
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Ça prenait des passes d’entrée pour venir à Manic 5. C’était protégé à l’entrée par un arrêt. La police prenait les coordonnées des visiteurs et le but de leur visite. Nous devions auparavant donner notre accord de laissez-passer et il vérifiait…
Nous y avons vécu les fêtes de l’ouverture du barrage. Nous étions tous invités à un grand banquet et bal en robe longue parmi les dignitaires…
Le premier ministre Daniel Johnson père meurt durant la nuit d’une crise cardiaque…
Nous y avions vécu de 1963 à 1971. Le chantier étant terminé, Jacques transférait à un autre chantier : Outardes 4.
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Nous sommes revenus à Forestville puisqu’on n’avait plus de service scolaire pour le Secondaire et on n’envisageait pas d’envoyer Line si jeune comme pensionnaire ni Yvan l’année suivante… Nous avons mis la roulotte sur un parking de roulottes, l’avons vendue et nous avons acheté une maison à Colombier pour la déménager à Forestville. Elle fut installée sur un terrain situé au 22, 5e Avenue à Forestville.
L’année suivante, durant les vacances scolaires, nous sommes allés rejoindre Jacques sur un terrain de camping. Nous avions une roulotte de camping avec tous les services et Jacques venait dîner avec nous…
Les enfants s’amusaient et se baignaient. Je faisais mes petits lavages chaque matin et je faisais sécher mon linge au soleil… J’avais une planche à laver et je frottais le linge taché des enfants. Jacques avait fait des échasses aux enfants. Ils se sont tellement amusés avec cela. On ne voyait passer que de grands géants… Les petits amis voyant cela, s’en sont fait faire par leurs parents. Il s’agissait d’avoir un peu d’imagination et les enfants s’amusaient tellement…
Nous sommes revenus pour reprendre les classes en septembre…
Quelques mois après, en 1971, Jacques faisait un infarctus à 34 ans sur le chantier Outardes 4. Il fut transporté par ambulance à l’hôpital Hauterive, un trajet d’une cinquantaine de milles. Arrivé sur les lieux, on le réanima et il passa trois semaines à récupérer. Il ne put réintégrer son travail puisqu’il était opérateur de grue, son employeur Hydro-Québec trouvant trop risqué pour effectuer un tel travail.
Jacques subit une opération à cœur ouvert et décéda quelques années plus tard le 12 août 1979 à l’Hôpital des Escoumins.
Ce fut une grande perte pour notre famille. Line avait 17 ans, Yvan 16 et Gino 14 ans, trop jeunes pour perdre leur père et moi un mari qui faisait tout mon bonheur…
Les enfants ont poursuivi leur étude et j’ai travaillé comme secrétaire et fait la comptabilité au Centre Plaza de Forestville. Quand le magasin se convertit en boutiques, j’ai loué un espace et j’ai ouvet la boutique La D’ S, boutique de fine lingerie, de vêtements féminins et de robes de mariées…
Le commerce devenait très compétitif. Quand je me payais de la publicité, le journal ensuite faisait les autres magasins de lingerie pour leur vendre de la publicité en dévoilant que je faisais une vente (payer pour se faire avoir). J’ai décidé alors de fermer.
Je suis informée des besoins du foyer des handicapés et j’y travaillerai quelques années. Le centre fermera, c’est la désinstitutionalisation de la clientèle pour les placer en famille d’accueil.
Gino pendant ce temps faisait son cours de mécanique à Beauport et il voyageait chaque fin de semaine de Beauport à Forestville. Les enfants finalement partent travailler en ville à Montréal et la vie suit son cours…
Un jour, mes enfants vous raconteront la suite de mon histoire…
Un avant-goût de la suite?
En ce jour, je peux vous dire que tous mes enfants vivent en couple, sont heureux, ont tous des enfants et réussissent leur vie. Ils sont ma fierté et celle de leur père qui, de là-haut, veille sur tout ce beau monde…
Je suis une mère, une grand-mère et une arrière-grand-mère.
Jacques et Denise