Je n’ai pas écrit ce qui suit…
La légende de Cadieux
Pour le compte des marchands de Montréal et de Québec, Cadieux se retrouvait souvent dans la région de la rivière des Outaouais, afin de négocier des échanges pour des pelleteries. Il y rencontrait les Indiens qu’il connaissait bien ayant épousé une des leurs, une Kichisipirini, une Algonquine de la Grande-Nation.
Installé avec sa famille au petit rocher de la haute montagne, en plein milieu du portage des Sept-Chutes, en bas de l’île du grand Calumet avec d’autres familles algonquines, il préparait son canoë quand un jeune algonquin accourt vers le campement essoufflé, inquiet et excité. Les Iroquois arrivent ! Cadieux n’est pas surpris. Les Iroquois profitent souvent du passage de voyageurs chargés de fourrures pour les attaquer, les piller et ensuite disparaître.
Cadieux et les Algonquins n’ont pas le choix; il faut sauter les Sept-Chutes ou affronter la troupe ennemie. Les cabanes se vident, les canoës se remplissent. Cadieux expliquent à ses amis algonquins qu’il ira, avec son ami Bessouat, à la rencontre des Iroquois, histoire de faire diversion.
– Quand vous aurez entendu deux coups de fusil venant du portage, foncez vers les rapides. Prenez bien soin de ma femme!
Et les deux hommes partent vers le portage pendant que les Algonquins attendent immobiles, silencieux, avirons à la main. Un premier coup de fusil retentit, puis un deuxième, c’est le signal du départ. Les embarcations des Algonquins foncent en plein cœur des chutes où des montagnes de rocs et les flots tumultueux voudraient arrêter les fragiles canoës d’écorce. Mais les pagayeurs sont habiles: pilote et navigateur coordonnent leurs mouvements à chaque bout du canoë; ils contournent les dangereuses pointes cachées sous l’écume, se glissent entre les rochers, surveillent le courant. Ils arriveront à bon port deux jours plus tard pour y attendre Cadieux et son ami Bessouat.
Le premier coup de fusil avait été pour Cadieux, plus qu’un signal à ses amis; c’était un geste de défense. Les Iroquois sont là et les ont aperçus. Bessouat est rapidement encerclé. Cadieux ne peut plus risquer une plus longue attente. Il s’enfonce dans le bois en prenant soin de ne pas laisser de traces derrière lui. Il replace les feuilles, les branches, revient sur ses pas pour brouiller les pistes.
Cadieux connaît bien la route du lac des Deux-Montagnes, mais non pas la forêt. Il n’ose donc pas s’éloigner afin de retrouver son canoë pour y rejoindre ses amis algonquins et sa femme. Il se construit un abri, se nourrit de fruits sauvages, évite de faire du feu. Il ne sait pas que les Iroquois ont rebroussé chemin. Connaissant l’habileté des Algonquins, les Iroquois ont rapidement deviné que ceux-ci ont sauté les rapides des Sept-Chutes.
Treize jours plus tard, inquiets de ne pas voir arriver les deux hommes, les Algonquins décident d’envoyer des hommes au partage. Ils découvrent le corps de Bessouat, scalpé, abandonné. Ils remontent jusqu’à l’abri de Cadieux. Personne ! Revenant par un sentier d’où ils étaient venus, ils aperçoivent une croix de bois qu’ils n’avaient pas remarquée en arrivant la veille. Une fosse était creusée et le corps, encore chaud de Cadieux y reposait. Les mains sur la poitrine, il serrait une feuille d’écorce de bouleau couverte d’écriture. Ils comprirent que Cadieux était vivant la veille, qu’ils les avaient reconnus, mais une trop grande faiblesse ou l’émotion de la joie l’ont empêché de crier sa présence. Il avait donc écrit sa complainte, son chant de mort sur un feuillet d’écorce et s’endormit pour ne plus jamais se réveiller.
Durant plusieurs années, les Algonquins revinrent à cet endroit. Leur chef déposait alors un nouveau feuillet de bouleau sur lequel il avait recopié la Complainte de Cadieux et fixait celui-ci sur une croix de bois placée à la tête de la fosse.
La complainte de Cadieux
« Petit rocher de la Haute-Montagne,
Je viens ici finir cette campagne!
Ah! Doux échos, entendez mes soupirs,
En languissant, je vais bientôt mourir!
Petits oiseaux, vos douces harmonies,
Quand vous chantez, me rattachent à la vie:
Ah! Si j’avais des ailes comme s vous,
Je s’rais heureux avant qu’il fut deux jours!
Seul dans ces bois, que j’ai eu de soucis,
Pensant toujours à mes si chers amis;
Je demandais: hélas! Sont-ils noyés?
Les Iroquois les auraient-ils tués?
Un de ces jours que m’étant éloigné,
En revenant je vis une fumée;
Je me suis dit: Ah! Grand Dieu! Qu’est ceci?
Les Iroquois m’ont-ils pris mon logis?
Je me suis mis un peu à l’ambassade,
Afin de voir si c’était embuscade;
Alors je vis trois visages français.
M’ont mis le cœur d’une trop grande joie!
Mes genoux plient, ma faible voix s’arrête,
Je tombe… hélas! À partir ils s’apprêtent:
Je reste seul… pas un qui me console,
Quand la mort vient par un si grand désole!
Un loup hurlant vient près de ma cabane,
Voir si mon feu n’avait plus de boucane!
Je lui ai dit: Retire-toi d’ici;
Car ma foi, je perdrai ton habit!
Un noir corbeau volant à l’aventure,
Vient se percher tout près de ma toiture;
Je lui ai dit: Mangeur de chair humaine,
Va-t-en chercher autre viande que mienne.
Va-t-en là-bas dans ces bois et marais,
Tu trouveras plusieurs corps iroquois;
Tu trouveras des chairs aussi des os;
Va-t-en plus loin, laisse-moi en repos!
Rossignolet, va dire à ma maîtresse,
À mes enfants, qu’un adieu je leur laisse,
Que j’ai gardé mon amour et ma foi,
Et désormais faut renoncer à moi!
C’est donc ici que le monde m’abandonne,
Mai j’ai recours en vous Sauveur des hommes!
Très-sainte Vierge, ah! M’abandonnez pas,
Permettez-moi de mourir entre vos bras!»
Source: du Québec, Tome II, pages 207, 208 et 209
La région située le long de la rivière des Outaouais n’est pas colonisée durant le régime français afin de maintenir la traite des fourrures avec les Amérindiens qui y habitent. Les Français maintiennent une garnison militaire dans plusieurs forts le long de l’Outaouais dont le fort Coulonge4. Les fourrures y sont livrées, puis on les acheminent sous escorte vers les grands centres de la colonie. Après 1763, les Britanniques ont le même souci de décourager l’installation de colons.
En mai 1709, Jean Cadieux, né à Boucherville le 12 mars 1671, fils cadet de Jean Cadieux et de Marie Valade, meurt de blessures et d’épuisement en voulant sauver ses compagnons de voyage des attaques des Iroquois. Des canotiers venus d’Oka ont trouvé son corps, en haut des Sept Chutes du Grand Calumet, tenant dans ses mains un texte écrit sur un écorce de bouleau, relatant sa mort, à l’origine de la légende La complainte de Cadieux.
Voici un extrait du texte de la Complainte de Cadieux (extrait de Forestiers et Voyageurs, Chapitre XV, de Jean-Charles Taché5):
« Petit rocher de la haute montagne, je viens ici finir cette campagne!Ah! doux échos, entendez mes soupirs en languissant, je vais bientôt mourir. »Cadieux s’engage depuis 1695 pour conduire des canots dans la région des Grands Lacs pour en ramener des fourrures. Il épouse le 30 mai 1695 à Boucherville, Marie Bourdon, né le 11 août 1675 au même endroit. On dit de cette dernière qu’elle est algonquine. Ses parents, possiblement adoptifs, sont Jacques Bourdon (1650-1724) et Marie Ménard (1658-1726), tous deux nés en France. Après la mort de Jean Cadieux, elle épouse Antoine Quenneville le 26 mai 1710 à Longueuil.
Il avait donc écrit sa complainte, son chant de mort sur un feuillet d’écorce et s’endormit pour ne plus jamais se réveiller…
Je ne savais pas qu’un de mes ancêtres écrivait si bien que ça.