Texte de Lise-Andrée Morin écrit en 2019…
Le temps des Fêtes chez mes grands-parents maternels
Quelques jours après Noël, mes parents faisaient les valises pour aller passer la période du jour de l’An chez mes grands-parents à St-Basile dans la vieille maison paternelle.
Nous partions de Charlesbourg pour nous rendre jusqu’à la magnifique gare centrale de Québec. Nous étions fébriles avant l’embarquement. Quel plaisir pour nous les enfants, de prendre le train. Nous étions surexcités, nous collions nos nez dans les fenêtres pour mieux voir les magnifiques paysages d’hiver se déroulés devant nous.
Comme tout le monde dans ces temps-là, nous n’étions pas riches, les grandes sorties se faisaient rares. Le voyage se faisait dans la joie et nous avions hâte de passer sur le pont de Pont-Rouge pour voir l’eau tourbillonnante de la rivière Jacques Cartier se précipiter avec fureur sous le pont. C’était très haut et un petit frisson de peur et de plaisir tout à la fois nous traversaient.
À l’arrivée à la gare de St-Basile, mon grand-père et mon oncle nous attendait avec les carrioles pour nous amener à la maison paternelle. Le froid était piquant, nos joues rougies par le froid, pendant le trajet nous savourions le plaisir de voir les chevaux trottés gaiement vers l’écurie. Grand-mère nous attendait avec son merveilleux sourire et ses bisous. Nous montions au deuxième étage pour rejoindre nos chambres qui étaient constitués de grands lits avec des matelas de plumes. Nous nous enfoncions là-dedans en riant. De grandes peaux de fourrure nous protégeaient du froid. Seul un poêle à bois entretenu religieusement par mon grand-père dans les grands froids d’hiver réchauffait la maison. Grand-père dormait dans sa chaise berçante pour être en mesure d’alimenter le poêle à bois à tous les deux heures. Des grandes grilles au plancher laissaient pénétrer la chaleur dans les chambres au deuxième étage. Ces vieilles maisons étaient isolées avec du brin de scie.
En arrivant, nous nous empressions de changer des vêtements pour courir à l’étable où tous les animaux étaient réunis pour l’hiver. J’ai toujours aimé l’odeur dégagée par les chevaux et les vaches dans une étable. Le matin du Jour de l’An après le petit déjeuner, grand-père et le frère de Maman préparaient les carrioles pour le départ vers le village pour assister à la messe. Les voitures attelées contenaient des grosses peaux pour nous tenir au chaud. Grand-père installait des briques chaudes pour nos pieds. Dans l’attelage des chevaux, il plaçait des grelots. Nous attendions les carrioles de nos voisins et nous partions en file pour le village situé à deux milles de là. Grand-père portait son casque de poil, son manteau de chat et ses bottines de drap pour se tenir au chaud. La puce, petit cheval canadien était attelée à la carriole. Le gros traîneau à patin était tiré par les deux percherons Jack et Tom. Ce gros traîneau à banc pouvait accueillir toute le reste de la famille. C’est en chantant pendant tout le trajet que l’on arrivait à l’église de St-Basile.
On dételait les chevaux, ils étaient mis à l’abri dans un hangar. On prenait soin de leur mettre une couverture sur le dos afin qu’ils ne prennent pas froid. Après la messe, au retour, nous étions emmitouflés sous les couvertures pour demeurer bien au chaud.
Arrivés à la maison, les femmes et enfants s’y réfugiaient. Les hommes repartaient avec les voitures pour la tournée du jour de l’An. Ils allaient de maison en maison souhaiter la Bonne et Heureuse année aux amis et voisins. Chacun était invité à entrer tout en se faisant offrir un petit verre pour se réchauffer. Cette tournée durait quelques heures. Heureusement, les chevaux savaient retrouver le chemin de l’écurie…
Pendant ce temps-là ma grand-mère et ses filles terminaient les derniers préparatifs pour le souper du Jour de l’An.
Grand-mère cuisinait uniquement sur un poêle à bois. Elle se préparait pour le temps des Fêtes des mois à l’avance. Grand-mère était la deuxième femme de mon grand-père. Il avait eu deux enfants avec sa première femme. Ses deux enfants du premier lit avaient chacun 12 enfants. Tous demeuraient dans le village voisin à quelques kilomètres de la maison de mes grands-parents.
Dans le deuxième lit, mon grand-père a eu 4 enfants. J’étais l’aînée des petits-enfants du deuxième lit.
Si on additionne les conjoints et les cavaliers des petits-enfants du premier lit. Nous étions environ 80 personnes pour le souper du jour de l’An. Ma mère et ses sœurs aidaient aux derniers préparatifs. Les hommes montaient les tables sur des tréteaux et apportaient les bancs que l’on recouvrait de couvertures en laine à carreaux afin de s’asseoir aux tables. La maison regorgeait des senteurs de la dinde qui cuisait dans le four et de toutes les préparations qui l’accompagnait.
Vers la fin de l’après-midi, la noirceur arrivait. Nous guettions les carrioles des oncles et tantes, des cousins et cousines de Portneuf. La lueur des fanals accrochés après les traîneaux et le chant des grelots accrochés après les attelages des chevaux tintaient gaiement dans l’air vif et froid du 1er janvier. L’arrivée se faisait dans la joie. Nous prenions les manteaux et nous les empilions sur les lits. Puis les chevaux étaient dételés et amenés à l’écurie où les attendait un picotin d’avoine. La maison était remplie de rires.
Tout le monde était heureux de se retrouver.
Quand tout le monde était arrivé, le plus vieux des enfants demandait la bénédiction paternelle à grand-père. C’était toujours avec émotion qu’il nous bénissait. Puis c’était le temps des souhaits de Bonne Année. Chacun y allait de ses vœux personnels, mais généralement, on se souhaitait, du bonheur, du travail, du succès dans les études pour les plus jeunes et finalement le Paradis à la fin de nos jours. S’ensuivait les embrassades et les petits becs en pincette des mon oncle pas toujours à jeun.
Puis le souper à plusieurs tablées commençait. Il fallait servir tout le monde en commençant par les plus jeunes. Pendant ce temps-là, les tables à cartes qui étaient montées. Dans les tournois de cartes, les enfants n’étaient pas admis. Nous organisions nos propres jeux dans les escaliers. On avait beaucoup de plaisir. Je me rappelle qu’après le repas, les femmes s’occupaient de débarrasser et de nettoyer la vaisselle. Cela durait des heures. Pendant ce temps, les hommes enlevaient les tables et les bancs dans la grande salle à manger pour laisser la place à la danse. Sur le plancher de bois, on mettait de l’acide borique pour le rendre plus glissant. Mon grand-père sortait son violon, mon père son banjo. Le frère de ma grand-mère callait les sets carrés. Et swing la bacaisse dans le fond de la boîte à bois. Les soirées étaient enlevantes, on riait beaucoup. Mon grand-père y allait d’une petite gigue. Le frère de Maman possédait une voix magnifique, il nous entraînait avec lui dans les chansons traditionnelles du jour de l’An..
C’est dans le temps du Jour de l’An, on s’donne la main, on s’embrasse…C’est le bon temps d’en profiter cela n’arrive qu’une fois par année.
Ah les fraises et les framboises, du bon vin j’en ai bu, croyez-moi mes villageoises jamais je ne suis tant plu.
Dans le bon vieux temps, cela se passait de même…
Puis venait le temps aux oncles et tantes de retourner chez eux. Il fallait sortir pour atteler les voitures. La fatigue aidant, le retour était plus difficile qu’à l’arrivée et surtout que la nuit c’est toujours plus froid. Chaque conducteur installait des lanternes après sa carriole. Ils partaient en file, les plus jeunes avait encore l’énergie de chanter. Les flocons de neige tombaient doucement, ajoutant à la magie de la nuit.
Notre famille avait la chance de demeurer quelques jours chez nos grands-parents, nous aidions à la ferme pour faire le train et nourrir les vaches, les chevaux et les autres animaux. Je savais que je retournerais au Mont d’Youville au retour. Cela me donnait l’occasion de revoir ma famille. Ces jours heureux sont gravés dans ma mémoire. Ce temps-là est passé maintenant. J’ai reçu ma famille par la suite et je comprends tout le travail que s’imposait ma petite grand-mère pour recevoir avec affection toute sa famille. Cette grand-mère a marqué ma vie de façon particulière car elle m’a tout montré. Sa sérénité, sa joie de vivre, sa générosité ont été des modèles pour moi. Malgré les années écoulées depuis sa disparition, elle est toujours présente dans mon cœur et j’y pense très souvent. Parmi les personnes qui ont guidé ma vie, elle a une place particulière et son influence s’exerce encore aujourd’hui.
Une belle année 2020 riche et belle pour tout le monde.